Sœur, Abel Quentin, Editions de l'Observatoire Rentrée Littéraire 2019 Premier roman The Unamed Bookshelf

De tous les livres que j’ai lus sur la radicalisation (Imago, Grand frère notamment), celui-ci est incontestablement le plus réussi, tant par la profondeur du récit que par le style admirablement bien léché de l’auteur, qui signe ici son premier roman. Abel Quentin nous raconte la radicalisation de Jenny Marchand, jeune Française élevée par des parents plutôt quelconques dans la banlieue pavillonnaire de Sucy-en-Loire. Une jeune fille que rien ne prédisposait à se convertir à l’islam, mais qui y a trouvé un refuge à son mal-être face aux injustices de l’adolescence. Pour autant, c’est une radicalisation assez foireuse, caractéristique d’une compréhension partielle des messages du Coran et de raccourcis faciles, teintée de références à Harry Potter et bercée par Bondy System of Sound. Une religion sur-mesure pour une gamine paumée, où la violence et la fraternité prône sur la croyance individuelle.

Abel Quentin démontre dans ce premier roman une incroyable capacité à se couler dans la peau de ses personnages, aussi divers soient-ils. Saint-Maxens, Benevento, Jenny, le couple Marchand, même Karawicz, personnage pourtant secondaire, ont une épaisseur romanesque rare pour des personnages de fiction développés en moins de 300 pages. C’est le style d’Abel Quentin qui permet cette prouesse : à la fois concis et précis, il reste percutant tout au long du récit, tout en donnant à chaque mot la justesse recherchée. Trouver les mots justes pour décrire à la fois le rejet communautaire d’un lycée de province et la décadence programmée d’un homme épuisé par le pouvoir, ce n’est pas donné à tout le monde, mais Abel Quentin s’en tire avec brio, immergeant sans difficulté le lecteur dans l’esprit torturé de ses personnages.

En toile de fond, l’auteur nous livre également une véritable réflexion sur la déformation de la religion musulmane pratiquée par des convertis hâtifs comme Jenny, cherchant plus un échappatoire à leur vie misérable qu’un véritable message divin en lequel placer leurs espoirs. L’attrait d’une religion radicalisée est illustrée ici dans les propos de Dounia, où tout est blanc et noir, où la marche à suivre semble simple et évidente, au détriment de toute nuance où pourrait se nicher le pardon ou l’empathie. A travers le personnage de Benevento, Abel Quentin nous montre que les hommes politiques sont souvent sans scrupules, surfant sur des tendances et des peurs, sans jamais se soucier de dénaturer une communauté entière en l’accusant des crimes d’une minorité.


Résumé de l’éditeur:

Adolescente revêche et introvertie, Jenny Marchand traîne son ennui entre les allées blafardes de l’hypermarché de Sucy-en-Loire, sur les trottoirs fleuris des lotissements proprets, jusqu’aux couloirs du lycée Henri-Matisse. Dans le huis-clos du pavillon familial, entre les quatre murs de sa chambre saturés de posters d’Harry Potter, la vie se consume en silence et l’horizon ressemble à une impasse.
La fielleuse Chafia, elle, se rêve martyre et s’apprête à semer le chaos dans les rues de la capitale, tandis qu’à l’Élysée, le président Saint-Maxens vit ses dernières semaines au pouvoir, figure honnie d’un système politique épuisé.

Lorsque la haine de soi nourrit la haine des autres, les plus chétives existences peuvent déchaîner une violence insoupçonnée.


Croupir dans l’ombre des autres si doués pour l’existence, bien décidés à en retirer le maximum de plaisir, pleins d’allant, les gestes amples, prenant ce qui est à prendre, contournant les obstacles, assurant leurs arrières, s’accommodant du monde tel qu’il est, du vif-argent dans les veines et du plomb dans la tête, les jambes bien campées, parfaitement lestées, et vous si gourde, empêchée, planant comme un oiseau de mauvaise augure au-dessus de vous-même, contemplant votre propre corps comme le marionnettiste un pantin qui aurait cessé d’obéir, désarticulés.

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