
🏆 Prix Nobel de Littérature 2022
Honte à moi, je n’avais jamais lu Annie Ernaux avant qu’elle n’obtienne le Prix Nobel de Littérature. C’est maintenant chose faite, avec Mémoire de fille, qui attendait sagement dans ma bibliothèque le moment d’être lu – et quel regret de ne pas avoir ouvert ce livre avant ! Plongée singulière dans la vie de l’autrice, qui nous raconte son été 1958 et les difficiles années qui l’ont suivi, ce récit est avant tout celui de la recherche de soi, de l’abandon de toute raison face à l’éclosion d’un sentiment amoureux et de la perte des repères créée par le déracinement social. Sans concessions, elle se plonge dans l’analyse de cet épisode et de ses conséquences, malgré l’inconfort que cet exercice génère, malgré les souvenirs douloureux, malgré le reniement d’elle-même qu’elle avait si bien réussi à mettre en place pour ne plus être « la fille de 58 ».
J’ai été absolument soufflée par la justesse de ce récit, par la pertinence universelle des réflexions de l’autrice, qui se confronte elle-même mais confronte également ses lecteurs, et peut-être plus encore ses lectrices. C’est incroyable comme l’histoire d’une femme en 1958 peut résonner, aujourd’hui encore dans nos vies de jeunes femmes du XXIème siècle, comme ses propos peuvent trouver un écho dans nos vies et dans nos moments les moins glorieux. Elle interroge de nombreux thèmes qui sont encore aujourd’hui de vrais sujets : les inégalités de classes, la domination des hommes, la sexualité féminine, le sentiment amoureux, la découverte de son corps, la somatisation, les troubles alimentaires, la pression sociale, la nécessité de suivre un avenir tout tracé, la désillusion de ne pas correspondre à l’image qu’on se fait de soi-même et que les autres ont de nous.
Je comprends mieux, après cette première lecture, pourquoi Annie Ernaux est la première femme française à recevoir le Prix Nobel de Littérature – et j’ai hâte de lire toute sa bibliographie pour affiner encore cette compréhension, et, j’en suis sûre, aller de coup de coeur en coup de coeur.
«J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.»
Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années. S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient entre hier et aujourd’hui.
Mais à quoi bon écrire si ce n’est pour désenfouir des choses, même une seule, irréductible à des explications de toutes sortes, psychologiques, sociologiques, une chose qui ne soit pas le résultat d’une idée préconçue ni d’une démonstration, mais du récit, une chose sortant des replis étalés du récit et qui puisse aider à comprendre – à supporter – ce qui arrive et ce qu’on fait.
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