Le voyant d'Etampes, Abel Quentin, Editions de l'Observatoire, The Unamed Bookshelf, Rentrée littéraire 2021

Alcoolique, divorcé et retraité, Jean Roscoff se lance dans la biographie de Robert Willow, poète américain méconnu, pour racheter sa carrière universitaire médiocre. Ce qui semble être une bonne idée prend vite une tournure inattendue : son livre, supposé rester plutôt confidentiel, se prend un tollé sur les réseaux sociaux, Roscoff ayant oublié, ou omis intentionnellement, de mentionner que Willow était… noir. Anti-raciste universaliste ayant fait la marche des Beurs en 1983, il ne lui était même pas venu à l’idée que la nouvelle gauche « conscientisée » pourrait le prendre pour un raciste notoire – et c’est bien là tout le noeud du problème.

On m’a présenté ce livre comme un coup de génie, le meilleur roman de cette rentrée. Autant sur le plan intellectuel, documentaire et informatif, je ne peux qu’être d’accord, Abel Quentin décortique les évolutions politiques des mouvements anti-racistes, sonde les profondeurs du monde littéraire avec ses lois et ses tribunaux propres et dévoile les sombres mécanismes des cabales médiatiques rendues possibles par l’explosion des réseaux sociaux. Il n’y a pas à dire, c’est riche, brillant et hautement intelligent. Pour autant, je ne me suis pas du tout attachée à ce personnage d’anti-héros vieillissant, déconnecté du monde dans lequel il vit, ressassant sa marche des beurs comme s’il méritait la salut par à ce simple fait d’armes. J’ai trouvé dans le récit beaucoup de longueurs pendant lesquels le narrateur d’apitoie sur son sort de pauvre homme incompris aux nombres intentions et ça m’a lassée du récit. La complexité du propos et des nombreuses idées évoquées a rendu ma lecture difficile. Moi qui lit de manière hachée, un petit bout par-ci par-là dans les transports, j’ai eu l’impression d’être restée en dehors de l’histoire, de la polémique, de la thèse du livre.

Ce que j’en retiens finalement, c’est cet affrontement entre deux mondes et deux générations qui ne se comprennent pas, ce qu’on constate tous les jours quand on discute avec nos aînés : notre société s’est largement complexifiée, et notamment sur les notions de race, de minorités et de cancel culture. L’auteur nous amène à réfléchir, en nous donnant des éléments historiques, philosophiques et contextuels sur des sujets de société mais difficile de savoir quelle est l’idée qu’il défend lui, Abel Quentin, à travers ce livre. Se positionne-t-il seulement par rapport à son sujet ?


Résumé de l’éditeur:

« J’allais conjurer le sort, le mauvais œil qui me collait le train depuis près de trente ans. Le Voyant d’Étampes serait ma renaissance et le premier jour de ma nouvelle vie. J’allais recaver une dernière fois, me refaire sur un registre plus confidentiel, mais moins dangereux. »

Universitaire alcoolique et fraîchement retraité, Jean Roscoff se lance dans l’écriture d’un livre pour se remettre en selle : Le voyant d’Étampes, essai sur un poète américain méconnu qui se tua au volant dans l’Essonne, au début des années 60.

A priori, pas de quoi déchaîner la critique. Mais si son sujet était piégé ?

Abel Quentin raconte la chute d’un anti-héros romantique et cynique, à l’ère des réseaux sociaux et des dérives identitaires. Et dresse, avec un humour délicieusement acide, le portrait d’une génération.


Je n’avais jamais eu le fantasme du gentleman farmer. J’éprouvais une émotion esthétique devant une scène champêtre de Millet, un socle de vieille charrue, un reportage de Depardon sur les paysans français, au fond je n’aimais guère qu’une représentation et les représentations, je m’en apercevais en vieillissant, gouvernent le monde. J’étais à peu près aussi campagnard que Marie-Antoinette jouant à la bergère. Ma génération était celle l’abondance, d’une certaine insouciance consumériste, des frigos pleins et des avions pour le weekend, ma génération était celle qui avait achevé de transformer la planète en dépotoir exsangue et malodorant, c’était encore une autre culpabilité que voulait me faire porter Jeanne, sans doute, si nous avions poursuivi nos échanges, et comme souvent elle aurait eu raison.

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