Le Passeur Stéphanie Coste Éditions Gallimard Rentrée  littéraire Janvier 2021 Premier roman Thé Unamed Bookshef

Seyoum n’en a rien à foutre de ses « cargaisons » de Soudanais et d’Erythréens faméliques qu’il trimbale de camions en bateaux pourris et envoie à la mort en leur soutirant leurs espoirs et leurs millions. Tout ça, c’est du business, il s’en fout pas mal qu’ils arrivent sains et saufs en Europe, l’essentiel reste la liasse de billets qu’il dépose dans son coffre à chaque nouveau départ. Jusqu’au jour où son passé le rattrape en s’incrustant par surprise sur un bateau en partance. Forcé de confronté ses pires cauchemars, le passeur cynique choisira-t-il de sacrifier son juteux commerce, ou ce qu’il lui reste d’humanité ?

Dans ce premier roman, Stéphanie Coste choisit de nous raconter une histoire incroyablement difficile, celle du malheur de toutes ces populations fuyant leurs pays devenus inhospitaliers, au premier rang desquels l’Erythrée, gangrené par la guerre civile contre l’Ethiopie pendant trente ans, puis par la dictature totalitaire imposée par le président Afwerki depuis 1993. Cette « prison à ciel ouvert« , Seyoum l’a fui lui aussi, ce qui ne l’empêche pas de traiter les autres migrants comme du bétail, leur refusant de l’eau et de la nourriture pendant des jours. Comment un homme peut-il en arriver à traiter ses semblables ainsi ? Qu’est-ce qui le hante derrière les planches mal assemblées de sa cabane sur la plage, quand il se noie dans l’alcool et la drogue ?

Malgré l’énorme claque que j’ai prise en lisant les premières pages de ce livre, révulsée par le traitement infligé aux migrants, ces gens que je côtoie au quotidien dans mon travail, et que j’aide du mieux que je peux, je dois dire que j’ai aimé cette lecture. J’ai été totalement happée par le style d’écriture de Stéphanie Coste, incroyablement juste et percutant pour raconter l’injustice, mais aussi tremblant de sincérité pour parler des hommes et de leurs faiblesses. Elle décrit l’horreur avec énormément de doigté, mais arrive tout aussi bien à raconter la rédemption, l’éveil des sentiments enfouis, et cette part d’humanité qui vit en chacun de nous, même ceux qui semblent être les plus pourris. Bravo !


Résumé de l’éditeur:

Quand on a fait, comme le dit Seyoum avec cynisme, « de l’espoir son fonds de commerce », qu’on est devenu l’un des plus gros passeurs de la côte libyenne, et qu’on a le cerveau dévoré par le khat et l’alcool, est-on encore capable d’humanité ?
C’est toute la question qui se pose lorsque arrive un énième convoi rempli de candidats désespérés à la traversée. Avec ce convoi particulier remonte soudain tout son passé : sa famille détruite par la dictature en Érythrée, l’embrigadement forcé dans le camp de Sawa, les scènes de torture, la fuite, l’emprisonnement, son amour perdu…
À travers les destins croisés de ces migrants et de leur bourreau, Stéphanie Coste dresse une grande fresque de l’histoire d’un continent meurtri. Son écriture d’une force inouïe, taillée à la serpe, dans un rythme haletant nous entraîne au plus profond de la folie des hommes.


Je me détourne de lui et examine vaguement la cargaison. Quarante-cinq zombies luisants me fixent du même regard suppliant. J’y vois passer les ombres d’épreuves insurmontables. Leurs fringues en lambeaux sont maculées de déjections. Des mouches s’y vautrent sans qu’ils en soient conscients. Ils ont lourdé leur dignité quelque part dans le Sahara. Les abominations subies n’ont pas entamé le brasier au fond de leurs pupilles, ce putain d’espoir. Je pense au mec de vingt ans parti lui aussi d’Asmara il y a longtemps. La boule se rappelle à moi.

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