
Amin a treize ans lorsqu’il se réinstalle au Liban avec sa grand-mère. Dans les décombres de Beyrouth-Est, il découvre ce pays meurtri auquel il doit s’acclimater, bien loin de l’ordre et de la discipline allemande à laquelle il est habitué. C’est d’abord grâce à Jafar, son camarade de classe à l’oeil de verre, qu’il s’approprie la ville à force d’explorations nocturnes, d’arnaques au marché aux puces et de tours de grande roue au Luna Park. C’est ensuite Zahra qui lui dévoile les charmes de ce pays encore méconnu mais d’une beauté rare. Enfin, c’est à travers la reconstitution de l’histoire de sa propre famille qu’Amin trouvera des réponses aux questions qu’il n’a jamais posé. Un roman sensible et profond où les questionnements identitaires se mêlent à l’histoire de la guerre civile libanaise, et à celles de tous les disparus, dont le sort n’a jamais été éclairci.
Après Tant qu’il y aura des cèdres, Pierre Jarawan revient avec un roman d’une puissance romanesque rare – presque même plus forte que celle de son premier livre, à mon avis. Ici, ce sont d’abord des moments épars dont la réminiscence nous entraîne dans l’atmosphère particulière de ce pays en reconstruction, de cette ville encore fracturée, et de cette famille pleine de secrets et de non-dits. Pendant presque la moitié du récit, je n’ai pas vraiment su où l’auteur voulait m’emmener, je me contentais de me laisser porter par l’évocation de ces moments perdus, en m’attachant petit à petit aux personnages croisés au fil des pages.
Usant d’ellipses constantes, l’auteur donne à son récit une forme de suspense doux et agréable, entretenant notre envie d’en savoir plus tout en parvenant à nous donner envie de profiter de chaque mot, de chaque phrase, en prenant notre temps. C’est l’indolence libanaise qui s’invite entre les pages, jusqu’au moment où on en vient au coeur du sujet : les disparus de la guerre civile. Emigrés en catastrophe, disparus sans laisser de traces, cachés pour échapper aux persécutions, nombreux sont ceux qui manquaient à l’appel quand la guerre civile a pris fin. A travers l’histoire d’Amin, Pierre Jarawan explore ces destins brisés, ces enfances perdues, ces familles détruites par cette guerre intestine, jouant sur la pluralité des intrigues pour nous faire entrevoir la complexité d’un conflit aux nombreuses ramifications. Impossible à lâcher une fois entamé, ce récit m’a complètement aspirée, transportée, retournée – au point d’y penser encore souvent.
En 2011, alors qu’il regarde les derniers chars syriens quitter le Liban, Amin est rattrapé par son passé. Il avait à peine quelques mois lorsqu’il a lui aussi quitté le pays avec sa grand-mère, après la mort brutale de ses parents. De retour à Beyrouth en 1994, le garçon de treize ans tente de découvrir ses origines dans une ville aussi fascinante que déroutante. Mais il se heurte à bien des résistances, des silences et des omissions, qui nourrissent une enquête de presque vingt ans. Pas à pas, Amin démêle les énigmes familiales enracinées dans les conflits armés, et il fait entendre la voix de cette « génération perdue ».
Après Tant qu’il y aura des cèdres, Pierre Jarawan poursuit son exploration du Liban, de ses fragilités mais aussi de ses trésors. Dans la tradition des contes orientaux, ce chant vibrant de la mémoire déploie un roman tissé de mille fils qui , grâce à une bouleversante histoire d’amitié, ressuscite les innombrables disparus de la guerre civile.
Avec les années, la réalité nous paraît tout autre. Nous considérons avec nostalgie notre jeunesse, ce grand chaos dans lequel le malheur comme l’espoir semblent toujours sans limites et ne sont éprouvés qu’avec démesure. Pourtant, nous faisons tout ce que nous pouvons pour la fuir, car à la sortie nous attend, nous en sommes persuadés, un autre monde à découvrir, et c’est seulement lorsqu’elle est définitivement révolue que nous nous retournons et prenons acte, un peu sonnés, de cette vérité banale : jamais nous ne retrouverons le chemin de cette période enchantée. Bien des événements ne déploient toute leur force que rétrospectivement. Il en va ainsi de la jeunesse : nous nous blessons et nous nous enrichissons les uns les autres, sans même en avoir conscience.
Plus d’informations et de citations sur Babelio.
Contente de voir que tu l’as aimé même encore un peu plus que le premier !
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j’avais déjà noté « Tant qu’il y aura des cèdres » dans ma PAL sans fond, vu ce que tu dis de celui-ci je le rajoute …
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Je ne peux que t’encourager à découvrir cet auteur !
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