Des hommes couleur de ciel Anaïs Llobet Editions de l'Observatoire

Que sait-on de la Tchétchénie, en dehors des attentats monstrueux perpétrés en son nom ? Que sait-on de cette culture, de ses codes, de ses lois, de ses contraintes ? Anaïs Llobet nous propose, dans un roman qui résonne comme une claque une fois la dernière page tournée, un aperçu de ce que c’est, d’être Tchétchène. Intégrés ou profondément réfractaires à l’intégration, les personnages tchétchène émigrés à La Haye qui peuplent ce roman crient la réalité de ce bout de terre maintenu coûte que coûte sous le joug de la Russie. C’est un portrait marqué par une terreur de chaque instant, par des règles d’honneur immuables que les familles se doivent de faire respecter et par une violence latente prête à exploser à chaque instant.

Victimes de cette culture du silence, Oumar et Alissa cherchent à s’en sortir en s’intégrant au mieux à leur nouveau pays, adaptant ou changeant complètement leurs prénoms pour faire disparaître leurs origines. Alissa s’est fondue dans la masse en prétendant être Russe tandis qu’Oumar a profité de l’anonymat de son nouveau pays pour laisser s’exprimer ses préférences sexuelles intolérables pour les siens. Mais quand un bombe explose dans leur lycée, leur identité revient au galop, et chacun, à sa manière, doit désormais apprendre à composer avec cette part tchétchène d’eux-mêmes qu’ils auraient préféré oublier.

S’attaquant avec sensibilité et nuance aux questions complexes de l’identité, de l’homosexualité et de la radicalisation, Anaïs Llobet nous sert un roman d’une rare intensité, où chaque ligne nous pousse dans nos retranchements. Maintenant un insoutenable suspense jusqu’à la fin, elle nous accroche irrémédiablement à ces personnages pleins de failles et fêlures, incroyablement humains dans leurs imperfections et leur volonté d’être acceptés. Ce roman est une véritable claque, qui me restera en mémoire un moment.


Résumé de l’éditeur:

Dans le pays où est né Oumar, il n’existe pas de mot pour dire ce qu’il est, seulement des périphrases : stigal basakh vol stag, un « homme couleur de ciel ».
Réfugié à La Haye, le jeune Tchétchène se fait appeler Adam, passe son baccalauréat, boit des vodka-orange et embrasse des garçons dans l’obscurité des clubs. Mais il ne vit sa liberté que prudemment et dissimule sa nouvelle vie à son jeune frère Kirem, à la colère muette.
Par une journée de juin, Oumar est soudain mêlé à l’impensable, au pire, qui advient dans son ancien lycée.
La police est formelle : le terrible attentat a été commis par un lycéen tchétchène.

Des hommes couleur de ciel est l’histoire de deux frères en exil qui ont voulu reconstruire leur vie en Europe. C’est l’histoire de leurs failles et de leurs cicatrices. Une histoire d’intégration et de désintégration.


Tu voudrais que je te raconte quoi, avec tes consignes pour enfants sages « racontez au passé un souvenir qui vous est cher » je n’ai aucun souvenir que je ne voudrais effacer et toi tu veux que je te l’écrive en russe, mais je vais te le dire en tchétchène puisqu’il n’y a que nous pour comprendre ce que nous avons vécu
les gens ils disent « il a connu la guerre c’est pour ça qu’il est étrange » et j’ai envie de les frapper parce qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils pensent que la guerre c’est comme à la télévision avec des immenses fumées dans le ciel, des gens qui pleurent et qui sortent des enfants couverts de poussière blanche des décombres de leur immeuble
ils ne savent pas que la guerre c’est la cave l’attente la faim les gens qui s’éteignent l’impuissance les mots qui ne servent à rien face aux soldats l’humiliation les souvenirs qu’on veut jeter et qui restent comme tatoués sur le blanc de l’oeil : tu clignes des yeux et la guerre revient, tu regardes ailleurs, elle est toujours là, tu dors, elle t’attend tapie dans le noir.

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